Le Dos Argenté est un gorille connu pour avoir le crane épais, un instinct territorial hyper développé et pour être l'animal social par excellence. Ce qui fait la singularité de Kong, hors le fait qu'il mesure 8 mètres de haut et qu'il occupe son domaine avec d'autres rois, tyrannosaurus ceux là, c'est qu'il est éperdument seul. Seul de son espèce, tous ses congénères semblent avoir trépassé, seul dans son genre, puisque ses congénères semblent avoir trépassé, et seul dans la vie puisque lorsque les indigènes du voisinage lui procurent de la compagnie, il ne trouve rien de mieux à faire qu'à désosser les offrandes. A croire que la femelle indigène à un petit goût de fumet pas désagréable qui améliore sensiblement un ordinaire essentiellement végétarien. Notre brave Kong est donc de la trempe du vieux garçon solitaire qui n'apprécie que moyennement qu'on vienne lui chier dans son nid. D'un naturel bougon et peu enclin à la conciliation. Un vrai roi en somme. Malheureusement pour lui, son gros cœur hors normes était destiné à rencontrer une jeune et jolie blonde braillarde et espiègle qui allait finir par le lui briser. Mettant ainsi et malgré elle un terme à la lignée des très, très, très grands singes.
Puisque nous connaissons tous les tenants et les aboutissants de cette tragédie simiesque pour en avoir vu au moins une adaptation, intéressons-nous donc à la forme de celle-ci, d'adaptation. Rarement l'Amérique en récession des années 30 aura été rendu avec autant de réalisme en si peu de plans. A part dans Les Raisins De La Colère de John Ford. Rarement le Manhattan de l'époque aura semblé si étrangement réel. A part peut-être dans le New York, New York de Scorsese mais l'action se passe dix ans plus tard. Rarement île vierge aura semblée si vierge et hostile-la-nature que cette Skull Island. A part peut-être dans quelques peintures de Frank Frazetta. Rarement autochtones insulaires auront paru si sauvages et avides de sang. A part Peut-être dans The House Of the Dead de Uwe Boll. - "Ne s'agissait-il pas en fait de zombies et d'une comparaison douteuse emprunte de taquinerie?" Tu me connais si bien... cela en deviendrait presque effrayant. Jamais, ô grand jamais, primate virtuel aura semblé si hurlant de vérité. - "Sûrement pas dans Congo, là, on est entièrement d'accord." Ce King Kong 2005 ressemble donc fort à ce que Peter Jackson prétendait vouloir réaliser. Un film hyper spectaculaire. Fidèle en cela aux sentiments qui l'ont traversés lorsque enfant, il a vu pour la première fois le King Kong de 1933 dans un cinéma de Wellington avec son papa. En bon démiurge, Jackson a donc mis l'accent sur le visuel, élevant les effets spéciaux dans des sphères jusqu'ici fantasmées. L'antropomorphie virtuelle passe un cap et l'hyperréalisme devient sévèrement envisageable. Qu'il est loin le temps de la première édition d'Imagina (1981).
Fatalement, cette priorité mise sur le tout à l'effet se fait au détriment d'autres aspects de la mise en scène. Comme quelques scènes d'action peu lisibles de part une volonté de mouvement trop appuyée. Il y a aussi James Newton Howard à la BO, remplaçant au pied levé de Howard Shore (qui signa la musique de la trilogie du Seigneur Des Anneaux, rien de moins) et qui nous livre des compositions sommes toutes peu inspirées car trop engoncées dans le registre de l'illustration sonore. Mais il y a surtout et notamment le scripte. Avec force et gros plans, Peter Jackson tentera plus d'une heure durant d'humaniser ses personnages jusqu'à l'excès, alors que dix minutes suffisent à nous faire savoir que le plus humain des protagonistes sera éructant et pourvu de quatre mains (ou quatre pieds, c'est selon). Ce pauvre Adrien Browdy serait presque trop bon acteur mais finalement pas de taille pour la confrontation qui l'attend. Contrairement à l'instinctif et testostéroné Jeff Bridges dans la version de Guillermin. Et son héroïsme volontaire, mais peu à propos, rajoute du dérisoire au ridicule de son rôle. Pas facile de rattraper un primate géant qui a décidé de faire sa tête de lard dans une jungle touffue et tortueuse, peuplée d'insectes géants et où l'hygromètrie ferait péter tout bon thermomètre. Surtout quand on est pourvu d'un physique de caneton et féru de littérature romantique. Alors bon, on se démène parce-que malgré tout, c'est Naomi Watts qui vient de vous filez sous le nez. De quoi motiver le plus ascétique des anti-héros. Elle, est déjà plus pertinente. Son visage hors d'age à la belle symétrie n'est pas sans rappeler les grandes heures du glamour hollywoodien. Ses grands yeux mouillés et sa bouche joliment dessinée sont malheureusement souvent abusivement sous-tendus par quelques fonds guimauves et rosés qui sont à la limite de la pub pour Guerlain. Mais la présence de la belle est indéniable n'en déplaise aux critiques littéraires qui lui reprochent sont manque de dialogues. Depuis quand le nombre de lignes de texte est-il gage de l'ampleur d'un rôle? A-t-on jamais reproché à Schwarzy ses 28 mots prononcés dans Terminator. Bien au contraire. - Naomi Watts... Schwarzy... tu sens pas comme une incompatibilité viscérale? Si. 45 kilos de muscles d'un côté et le statut de bon comédien de l'autre. Les autres caractères sont, à l'image du genre, assez caricaturaux pour ne pas nous faire oublier que ce King Kong reste de l'entertainment avant tout. Comme l'original.
Et c'est bien là le point négatif du King Kong de Jackson. Cet entre deux finalement pas très heureux, car pas réussi, entre émotion et action. L'un écrasant l'autre. Ou plus exactement, l'autre écrasant l'un. Et ce ne sont pas les trois heures que durent le film qui, comme son réalisateur semblait le croire, suffisent à faire le lien de l'ensemble. Trop de spectaculaire finira par tuer le spectaculaire. La version de 1976 de John Guillermin fut en cela une vraie réussite. La poésie opérait car l'écriture y était taillée au cordeau (ha! les scénarii des années 70...) et la mise en scène d'une rigueur absolue. Mais surtout, le casting y était impeccable et la bande originale de John Barry d'une puissance évocatrice rare. On regrette d'autant le mélange mal dosé de réalisme de cette dernière version en date, Kong sur le modèle d'un vrai gorille, et de fantasy (au sens anglais du terme) purement débridée et cinématographique comme la charge des brontosaures, car certaines scènes atteignent terriblement efficacement leur objectif. En particulier le premier tête-à-tête entre la belle et la bête. Qui met en évidence la bestialité du "monstre" et sa capacité à mettre un terme définitif à cette idylle naissante à l'aide d'un seul doigt si l'envie l'en prenait. On apprivoise pas Le Roi des Kong comme un vulgaire caniche. - "C'est qui l'patron !? Bordel !" D'ailleurs, quasiment toutes les scènes de la grosse tête velue d'affiche sont des réussites, sauf celle dans Central Park, comment dire... -" Ridicule ?" Voilà. Les humains quant à eux ne sont malheureusement pas souvent à la hauteur.
Cependant, Peter Jackson s'impose définitivement comme le roi de l'adaptation en widescreen. Et si le spectateur du 21e siècle ne connaîtra jamais l'hallucination qu'a du représenter la projection du King Kong du 20e, c'est bien le seul point de divergence majeur des dites versions. Très fidèle au premier opus de Schoedsack et Cooper, le King Kong façon Jackson est démesuré à l'image de son sujet. Démesuré de par son aspect visuel, démesuré dans l'expression des sentiments et démesuré dans l'action et dans son ambition. Qui n'est rien de moins que d'avoir voulu réaliser le film le plus visuellement ébouriffant jamais réalisé et d'y être parvenu. Jusqu'à ce qu'un autre réalisateur complètement fondu prétende au trône. En attendant, Lucas et les frères Wachowski font figures de pâles dauphins et le royaume de Nouvelle Zélande peu couler des jours paisibles. Si ce n'est assurément pas un film parfait, Le King Kong de Peter Jackson restera longtemps, j'en prends le pari, le plus impressionnant. Le Roi est vivant, barbu et joufflu. Vive le Roi.
Aswip'
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