Chez Les Grimm, les jours de fêtes, c'était soupe au lard. Sans lard. Au prix du lard... Une bonne bolée d'eau chaude avec un peu de terre en guise de sel. Au prix du sel.
Et pour soigner la tuberculose de leur mère, Wilhelm et Jacob, surtout Wilhelm d'ailleurs, devait aller briser l'épaisse couche de glace qui recouvrait le puit au fond de la cour, pour en extraire un peu d'eau à l'aide d'une fourchette. Non pas que Jack n'aima pas suffisamment sa maman pour s'adonner à cette basse besogne, bien au contraire, mais sa formidable lucidité pré-adolescente lui avait déjà fait entrevoir le pire. Et loin d'accepter la fatalité, ce dernier avait décidé de se réfugier dans un monde imaginaire.
Comme pour surmonter les vicissitudes d'un monde réel décidément trop cruel. La vie est en effet bien moins rude au pays des haricots magiques.
Pourtant, Les Frères Grimm ne vont pas devenir dealers par dépit malgré leur rude apprentissage en zone rurale. Ce lourd passif ne les conduira pas non plus à brûler des voitures car l'éducation qui fût la leur lors de leur passage au pensionnat de Sarlat va à jamais guider leur existence. Comme quoi, il n'y a pas de fatalité.
Devenus de vrais filous professionnels avec mention bien en chourre et assez bien en escroquerie, ils vont écumer leur contrée natale à l'affût de gogos près à tous gober. Et à l'époque, il n'y avait qu'a se baisser. D'où un succès fulgurant auprès des populaces locales.
La raison face aux croyances. Un bon fond de commerce que perpétuent encore allègrement les télévangelsites de tous poils et de toutes confessions. Qui a dit que les temps changent?
- Mais nan, c'est Le temps qui change. Y a plus d'saisons ma bonne dame.
Ha, d'accord.
Pour appuyer cette évidence climatologique, il est vrai que pour enrhumer du crétin, ils connaissent leur affaire : exorcisme de sorcière, chasse aux trolls et engrossage de jeunes villageoises crédules n'ont pas de secrets pour eux. Du moins pour le dégourdis et sceptique Will. Car son frérot lui n'a pas atterrit depuis sa prime jeunesse et voit des nains partout.
Et pour bien noircir le tableau, leur patrie est en passe de tomber sous le joug d'un nabot corse neuroleptique au "moi" surdimensionné. Un sale français mangeur d'escargots et portant le bicorne, qui voudrait faire main basse sur tous les champs de patates des royaumes alentours. Ce mégalo court sur pattes envoie donc ses troupes dans la campagne germaine pour instaurer les préceptes cartésien en lois officielles. Entrant ainsi en conflit ouvert avec les frangins Grimm.
Rien à y redire. Le thème était taillé sur mesure pour Terry Gilliam. Sur le papier. Car dans les faits, le constat est plus amer.
Les largesses qu'il a prises avec la biographie de vrais Frères Grimm sont plutôt réjouissantes, les décors sont somptueux, l'atmosphère forestière
est présente et Matt Damon est franchement excellent.
- sérieux??
Vraiment.
Il transperce l'écran dans son rôle de faux-cul cynique à qui on ne la fait pas. Il s'est totalement investit, avec beaucoup de générosité, et on ressent même la jubilation de l'acteur dans certaines scènes. Le contre-emploi payant que cherche beaucoup de comédiens. Souvent vainement.
Ici, ça prend. Malheureusement, le reste du casting et un peu écrasé par la performance. Jonathan Pryce fait ce qu'il faut, ni plus ni moins, en bon routier de l'univers gilliamesque, Peter Stormare en fait des caisses, Lena Heady est transparente, Monica Bellucci, anecdotique, et Heath Ledger
marche un peu trop sur les plates-bandes de Johnny Depp pour être honnête. Ensuite un compositeur, Dario Marianelli, qui fait son Danny Elfman.
Niveau mise en scène, Gilliam nous a trop habitué à son foncier hors du commun. Hors, Les Frères Grimm s'essouffle assez rapidement. Notamment à cause d'une intrigue "même pas secondaire", puisqu'il s'agit du fond du film, mais envisagée comme telle. Du coup, totalement dispensable.
Et puis son style, reconnaissable entre mille, fait de grand-angles et d'effets spéciaux à la débrouille est en train d'être rongé par la standardisation du tout-numérique. Et ça, ce n'est guère rassurant.
Depuis le naufrage financier, totalement injuste, du Baron De Munchausen, Terry Gilliam traîne cette étiquette rare et précieuse mais Ô combien pesante d'électron libre du cinéma d'entertainment américain. Comme d'aucun porte un fardeau. Et il est résolument seul à porter sa croix.
La Sainte Inquisition Hollywoodienne a donc à l'œil ce farfelu mage au rire sardonique et aux projets démoniaques. Ces prétentions étant en effet forts hérétiques : faire rêver, rire, pleurer. Emouvoir en somme.
Pourquoi le sortilège ne prend-il alors pas?
Le sorcier Gilliam aurait-il dépensé trop de bave de crapaud et de cornes de bouc dans son Grand Oeuvre maudit, Don Quichotte? Ou faute à un scénar si mal ficelé que même un maître jedi de l'imaginaire tel que lui ne pouvait mener Les Frères Grimm à bien. Même pas sûr.
Car le film de commande est un exercice dont il peut s'affranchir avec brio ; L'Armée Des Douze Singes. Les voies du succès sont décidément aussi obscures que celles des forêt teutonnes du XIXème siècle. Et on ne gagne pas à tous les coups, malheureusement. La plupart des ingrédients alchimiques étaient pourtant réunis dans la petite entreprise Grimm : la fable, le visuel, Le comédien...
Le problème majeur avec les recettes magiques, c'est précisément que s'il manque le moindre ingrédient, la concoction aux propriétés surpuissantes vire au placebo. Et côté maîtrise scénaristique, Terry Gilliam semble avoir été mis sous tutelle. Ou alors dépassé. Or, aux vues de ses antécédents, il est difficile d'imaginer un Gilliam débordé par quelques circonvolutions scénaristiques. La première option s'impose d'elle même.
- Dans ton esprit de fan tordu, oui.
Moi je suis le fan, c'est toi mon esprit, espèce de tordu!
On sent qu'à plusieurs reprises dans Les Frères Grimm, les rangs de la confrérie des Inquisiteurs se sont resserrés autour de lui. Quand son espiègle esprit commençait à marauder trop ostensiblement, faisant gonfler sensiblement un budget déjà astronomique. Du moins pour un Terry Gilliam.
Le film est donc ponctué de Gilliam par intermittence. Et à la vérité, il n'est surement pas totalement étranger au ratage relatif du projet. Avec son caractère de cochon, avec celui des frères Weinstein, et avec tous les aléas que peut comporter un film réalisé par le plus anglais des américains.
Et comme si la fiction, ou la vision, rattrapait la réalité, ce dernier ressemble de plus en plus à son héros Brazilien Sam Lowry. Reste à savoir s'il se fera broyer par La Machine ou si son âme est définitivement libre de toute contingence. On en saura plus dans son prochain tour de passe-passe.
En tous cas, à Cinematic, on lui souhaite de vivre heureux éternellement. Sinon j'ai une bonne adresse de marabout pour lui.
Aswip'
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