Les coupes tout en nuances d'une première bande annonce présageait une atmosphère quasi-religieuse sur fond de retour du messie. Les cuivres façon John
Williams semblaient s'éveiller en choeur et les images d'un jour nouveau baigné d'un rayon de soleil matinal se faisaient l'écho d'une trop longue léthargie sur le point de
s'achever. L'espoir renaissait de fragments symboliques d'une icône jusqu'ici en berne, et l'onde de choc à venir semblait inéluctable... Le torse fier et l'imagination aux abois on avait
hâte de s'en prendre plein la gueule, le palpitant flirtant d'entrée avec la zone rouge de l'extase cinématographique.
Puis Superman s'en revint, auréolé d'une gloire passée et galvanisé par son nouvel étendard de choix via Bryan Singer, l'inattendu talent à la
baguette d'Usual Suspects et la référence super-héroïque à l'origine des deux premiers Xmen portés à l'écran... Ainsi la cause semblait acquise et la
tâche entre de bonnes mains pourtant la recette n'aura pas les effets escomptés. Au bout des deux heures et demie de projection, le retour tant attendu a pris du plomb dans l'aile
proposant au mieux au spectateurs curieux, un pop-movie bien foutu mais un peu long en fin de bobine, et au pire pour les fans difficiles un chapitre confus plutôt mou du supergenou.
Conscients du poids de leurs attentes et de son lots inévitables de frustrations, les plus retords auront tout de même de quoi pester contre la trame de fond de peu d'ampleur, et on
aurait du mal à leur en porter préjudice tant il est vrai que le choix scénaristique se retrouve dépourvu d'intérêt, à défaut de génie. L'histoire manque de rythme, de profondeur, et
brasse du vide pour ne pas aller bien loin. Le mal incarné projette de faire pousser un continent à des fins immobilières peu scrupuleuses et le bien désincarné contemple le bilan de ses
absences. Bof, vraiment. Superman Returns s'encombre même de quelques détails pas super-adroits, à l'image, pour n'en citer qu'un, de la disparition du héros due à une
transhumance sur sa planète d'origine dont il ne tirera absolument rien, sinon le constat qu'elle est belle et bien détruite (sic). Pour le reste les ingrédients semblent éculés sans
volonté de les transcender, ainsi Clark éprouve toujours autant de mal à s'imposer face à son avatar en collant, Luthor demeure une caricature de super-vilain aussi démesurément peu
inspiré que mal entouré (3 gorilles et une pouffe à caniche), et la kryptonite reste l'alternative incontournable face à la puissance de l'homme d'acier. Tout cela fleure bon le réchauffé
d'autant plus que la ligne directrice du script plutôt maigre s'axe carrément sur la relation de père à fils évoqué dans le deuxième Superman version Donner's cut (certes peu connu du grand public). A ce titre ce cinquième opus des aventures du fils de Krypton s'apparente un peu à sa manière au troisième
Alien du brillant Fincher : une parenthèse ni essentielle, presque dispensable, tout juste bon à prolonger la série en attendant
mieux.
Néanmoins s'arrêter à cette réelle déficience d'écriture serait faire abstraction des autres composants du film qui, à défaut, peuvent palier l'absence d'inspiration globale, ou du moins
justifier le déplacement en salle. A commencer par la plastique visuelle tout en finesse, fruit d'une réalisation minutieuse mise en lumière par une photo remarquable. Graphiquement en
réussite Singer parvient à faire voler un homme comme nul autre cinéaste avant lui et les exploits démesurés de son superman sont d'une crédibilité
bluffante. On a vite fait de s'enthousiasmer voire de trouver absolument normal que l'on puisse secourir un avion à bout de bras ou catapulter une île dans l'espace en moins de temps
qu'il n'en faut. Mais la vraie surprise vient du jeu de Brandon Routh dans la peau d'un superclark de la même veine que celui dessiné par feu
Christopher Reeve. Sans pour autant singer son modèle au point de s'effacer, Routh sait jouer de ce qui a fait le
succès de l'incarnation de Reeve, alternant entre Clark mal à l'aise et superman plein d'aplomb grâce à une vraie présence ponctuée de mimiques
subtiles. A un autre niveau Kate Bosworth s'affirme en une Loïs Lane réactualisée moins féministe, plus accessible mais au caractère bien trempé, Et
Kevin Spacey campe un Lex Luthor avec ce talent qu'on lui connaît, dans la lignée du portrait roublard entamé par Gene
Hackman.
Au passage cette version gagne en gravité ce qu'elle a perdu en masse musculaire et la naïveté de Superman face à la faiblesse des hommes se teinte d'un regard de compassion, aussi
fragile que ceux dont il s'est octroyé la défense. Singer voile d'ailleurs certaines scènes d'une ambiance trouble, entre drame et nostalgie, jouant
de ralentis contemplatifs et d'accompagnements musicaux en douce, aussi graves qu'intérieurs. Sous le signe du doute à bien des niveaux, Superman officie douloureusement en quête
d'identité, à priori condamné à ne pas connaître la vie de famille que tout homme s'évertue en droit de réclamer. C'est certainement au détriment du reste que Singer a délibérément cherché à mettre en exergue la difficulté de vie des deux alter-égos Clark/Superman, toutefois l'intention demeure confuse. Là où M.
Night Shyamalan parvenait dans Incassable à transcender l'isolement d'un être d'exception, Bryan
Singer parvient à peine à suggérer le malaise identitaire du plus orphelin d'entre tous. Emotionnellement le message des grandes responsabilités dû aux grandes capacités passe
mieux dans Spiderman 2, notamment grâce au caractère plus attachant d'un Peter Parker plus humain que ne
le sera jamais Clark "Ka-El" Kent. Ce constat final plombe définitivement ce retour en demie-teinte et ne laisse pas le spectateur serein, aussi troublé que sur le carreau. Paradoxalement
c'est ce trouble très délicat à exprimer qui augure de meilleurs auspices à venir, tout autant que son propos fût maladroitement exprimé. Comme si superman avait la gueule de bois, ou
sortait d'une dépression issue d'un quotidien finalement lassant et répétitif à la longue... Demain sera autre, et le meilleur demeure à venir.
Enzo
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