Clint
Eastwood
est un des derniers maillons d'une certaine idée du cinéma.
D'une certaine idée de la vie simplement. La boxe comme un art
de vie par exemple. Il a des valeurs chevillées au corps, il le
revendique, et se moque bien du cynisme ambiant.
Son oeil toujours vif et perçant transparaît derrière
son sourcil broussailleux
ainsi qu'au détours de quelques répliques très significatives
de Million Dollar Baby:
Maggy - "People seen me fight say i'm pretty tough"
Frankie - "Girlie, tough, ain't enough"
ou bien
"Sometimes, the best way to deliver punches is... step back..."
Dans son cas, ces répliques, qui pourraient servir de baselines
et promouvoir n'importe quelle publicité sans épaisseur
ou autre film d'action un peu bavard, prennent corps. Elle ne s'appliquent
pas qu'au monde "inversé" de la boxe ni même qu'à
l'écho auquel elles renvoient dans la vie des personnages du film.
"But step back too far... you ain't fighting at all"
Elles ont ce côté universel sans pour autant être démagogues
dans le ton.
Marque que nous sommes en présence d'un très grand réalisateur.
Si l'on en doutait encore.
Et du sens,
il y en a à revendre dans Million Dollar Baby.
Ainsi, Frankie Dunn, l'entraîneur/soigneur/un peu promoteur de boxe
est une somme de tous les rôles que Eastwood
a pu incarner. Cet homme échaudé et taciturne, en proie
à une lutte incessante avec les fantômes d'un passé
troublé et en quête de rédemption. Plus doué
dans son travail que pour la vie, il s'enivre à la tache, avec
opiniâtreté,
sans parvenir à soigner ses propres blessures. Obtu, il s'est forgée
une éthique de vie et tente de composer avec les éléments
extérieurs.
Le trouble faite sera, comme souvent dans la sphère eatwoodienne,
un petit bout de femme au caractère en acier trempé. Maggy,
magistrale Hilary Swank en trentenaire white-trash
au parcours misérable qui n'a qu'une certitude. Elle échappera,
elle aussi, à son lourd passif en devenant championne de boxe.
Entre ces deux là, va se nouer une entente faite de respect et
de force de travail. Maggy voit en ce vieil irlandais borné un
moyen sûr de résilience.
Frankie voit en elle le reflet de sa faillite passée et un possible
appaisement.
Mais quelque chose de plus profond va naître de cette relation professeur/élève.
Car ils ont tous deux plus à s'offrir qu'une simple relation de
travail. Quelque chose qui s'apparente plus à un lien filial.
De boxe il
est réellement question dans Million Dollar Baby.
Eastwood à choisi de prendre son sujet
à bras le corps avec générosité et abnégation.
La chose est somme toute assez rare avec les films évoluant dans
le milieu sportif. On se contente, en général, de sublimer
ou de survoler ce domaine éminemment esthétique et dynamique,
éminemment cinématographique. A part peut être dans
Le Vélo de Ghislain Lambert.
Lorsqu'au 3/4 du film le récit bascule, Les questionnements feront
place aux choix et Eastwood aura l'intelligence
d'éviter toute ostentation. Avec, tout au plus, un peu de manichéisme
dans le traitement de la famille
Fitzgerald.
Il se laissera même aller à l'expression de sentiments presque
inédits pour lui en tant qu'acteur. Avec pudeur.
Avec pudeur, il fera dire à sa conscience, Mr Scruff, impeccable
Morgan Freeman, ce que lui ne saurait verbaliser.
Outre le narrateur des préceptes, des déceptions, Freeman
est le messager à la vision et à la voix tempérée.
Ils se comptent
sur peu de doigts les réalisateurs qui parviennent à créer
une réelle empathie pour des personnages de fiction de nos jours.
Clint Eastwood sait comme personne prendre
le temps de faire naître cet attachement. bénéfice
de l'age sans doute. Il ne s'enferre pas dans des schémas pré-définis
et pourtant son récit est millimétré et stylé.
Forcement, l'univers qui en découle est personnel, hors du temps,
des majors et de leur système métrique. Il est la preuve,
en outre, que l'expression des sentiments peut être simple et frontale,
sans être simpliste.
Que l'on peut être fin sans être tortueux et évoluer
pourtant dans le cinéma d'auteur. On ne peut qu'en être séduit.
Et on le récompenser à juste titre aux Oscars.
Souhaitons
qu'avec cette allégorie du combat il parvienne plus aisément
à monter ses projets à venir. Car dans son Million
Dollar Baby plane, plus que jamais, l'ombre pesante de Madame
Mort. Or il est Difficile de dissocier le personnage de Frankie, incarné
parfaitement
par Eastwood acteur, de l'idée que
l'on se fait de Clint, l'homme.
Et si Papy fait de la résistance, malgré son imposant charisme
et sa longévité, on le sait mortel. La star Eastwood
n'en est que plus proche et le cinéma qu'il incarne que plus humain.
Et quand disparaîtra Monsieur Clint
et/ou son alter ego Freeman, ce sera assurément
une immense perte pour Malpaso Productions. Mais
ce sera surtout une immense perte pour l'âme du cinéma américain.
Aswip'
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