je suis le plus heureux
des hommes.
Stephen Chow remet le couvert après
le succès en vidéo (outre Asie) de Shaolin Soccer,
et les couverts sont en or massif. Le Dieu de la cuisine nous a concocté
un met jubilatoire propice à la sécrétion massive
d'endorphines avec son Kung Fu Hustle. Oubliez Crazy
Kung Fu, car il faut nécessairement voir la version originale.
Inutile de dépenser 8 euros pour une VF qui sera assurément
une félonie si ce n'est carrément merdique.
Ami, si
tu ne goûte guère la comédie burlesque chinoise matinée
de wu xia pian et des side-kicks qui l'accompagnent, passe ton chemin.
Y a une émission qu'elle est bien sur TF1. Pour les autres, aventurez-vous
donc dans "l'Allée du Goret", un bouge champêtre
et populaire du Benjin d'entre deux guerres, inféodé au
gang local, le Gang Des Haches. Ses
habitants, sous leurs aspects débonnaires, cachent en leur sein d'anciens
maîtres d'art martiaux extrèmements puissants et reconvertis
qui en tailleur, qui en vendeur de pâtes, faute d'avoir d'autres
combats à mener en ces temps de paix. Tous sont sous la coupe d'une
propriétaire mégère de moins de 50 ans, hillarante
Yuen Qiu, à la poigne d'acier, au
bigoudi épais et au verbe fleuri.
Elle a la main leste et est par ailleurs intraitable sur le règlement des loyers.
Ainsi, lorsque les membres du Gang Des Haches viendront troubler la quiétude
de ces pittoresques villageois, tout à leurs préoccupations
journalières et leur lutte de clocher, pour les raquetter, ils
se feront vertement recevoir.
Sing, Maître Chow himself, petit looser
à la manque, n'aura de cesse de devenir un méchant et d'intégrer
le sanglant gang, ayant réalisé très jeune que les
bons ne gagnent jamais dans l'histoire. Ce calcul un peu foireux va le
placer au cur du conflit émergeant entre les habitants du
"Goret" et le Gang Des Haches. Heureusement pour lui, son don
de régénération rapide hérité de son
patrimoine génétique saurien ou de ses accointances avec
les X-Men, va lui être fort utile dans la position tampon dans laquelle
il s'est fourré comme un âne bâté.
Alors voilà,
c'est du Stephen Chow tout craché.
Ou l'art de recycler un scénario digne d'un autre temps, façon
l'aube du film de série z, pour en faire une oeuvre unique et décalée.
Et cet homme doit traîner de sérieuses valises aux vues de
l'humour qui l'anime. Humour fait de cruauté gratuite,
la meilleure, d'humiliations en tous genres et de personnages plus névropathes
les uns que les autres. Ici, les impitoyables chefs de gangs ont une belle
gueule, des costards sur mesure, mais ils ont surtout les dents complètement
pourries. Comme si le mal absolu les avait rongé de l'intérieur.
Le meilleur combattant d'art martiaux au monde est un quadragénaire
bedonnant atteint de calvitie et adepte de la trinité gagnante
du beauf ; marcel, caleçon et tongs. Pour couronner le tout, il
est interné volontaire dans un asile, faute d'avoir trouvé
adversaire à sa démesure. Les marchandes de glaces sont
fort jolie mais muette et les moines bouddhistes abusent les enfants en
leur vendant 10$ des méthodes de combat qui ne valent que 20 cents.
Les amateurs de politiquement correct risquent l'anévrisme à
chaque plan. Et qu'est-ce que c'est bon!
Outre ses
talents intrinsèques de comédien, son don de dénicher
des trognes improbables, son inventivité de metteur en scène,
son sens du rythme et du ridicule, Stephen Chow
à la grande intelligence de se réapproprier un genre allègrement
pillé ces dernières années, le film de kung-fu. Car
en plus des qualités sus-nommées, il le fait avec la manière.
Parodiant à son tour les innombrables copies avec autrement plus
d'inspiration. Le dragon en à fini de se mordre la queue avec Kung
Fu Hustle.
Mais c'est surtout que lui, Stephen Chow,
a les moyens de ses ambitions.
Tarantino, Gans
et autres Wachoski Bros peuvent revoir leur
copie quand au champ des possibles lorsque l'on fait appel au maître
chorégraphe Yuen Wo Ping, ainsi que
dans la gestion du dynamisme, de l'esthétique, du lyrisme, de l'inventivité,
de l'excès...
Qui à
dit qu'il était impératif d'avoir un bon scénario
pour faire un grand film?
Pas moi. Et pas Stephen Chow, c'est sur.
Le talent et l'abnégation peuvent suffirent. Quand en sus on ne
se réfugie pas derrière le médium pour faire passer
ses petites visions sur la vie, la mort, l'érection d'un effet
spécial au rang de concept global, la migration des saumons d'eau
douce, mais qu'au contraire, on le prend à bras le corps, on le
tord comme un vieux chiffon, on le détourne et on le parodie jusqu'à
l'usure avec malice, sans calcul, c'est faire preuve d'une immense générosité.
Certains pourrait croire y reconnaître naïveté, incompétence,
ou pire, un désaveu.
- Après tout, ce n'est jamais que de la grosse comédie
parfois grasse alors arrête donc de t'emballer de la sorte.
Erreur monumentale que de l'aborder ainsi. C'est avec une attitude condescendante
que l'on passe souvent à côté des vrais grands ou
des poètes. Et la comédie est érigée au rang
d'Art Majeur avec Kung Fu Hustle. Stephen
Chow est une vision. Et dans son cinéma, il y a du partage.
Libre au spectateur d'entrer dans son monde de fou. Celui de Stephen
Chow alias Sing-Chi Chau, habitant
de la Terre Du Milieu, Roi Singe et Roi de La Comédie.
- Tu ne serais pas un petit peu fan et donc franchement partial des
fois? Si, carrément.
Aswip'
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